lundi 23 novembre 2015

Les choix préalables à la dégustation









Ça peut paraitre idiot ou étrange, mais je me pose parfois beaucoup de questions avant de me lancer dans une dégustation. Quel thé ? Infusé comment ? Avec quel matériel ? Voilà des interrogations qui peuvent m'occuper un moment et je suis parfois encore en train d'y réfléchir alors que l'eau bout déjà dans la tetsubin. Je vous propose de m'accompagner dans ces tergiversations.











Le gong fu cha : le "temps du thé"

Voici pour commencer un élément important : il s'agit d'un moment consacré à la préparation du thé. Et, par définition, cela demande d'avoir un peu de temps à y consacrer. Pas 5 minutes, pas 10 minutes, pas des heures non plus, mais une quantité confortable de temps pour pouvoir faire un nombre suffisant de tasses. Comme on va le voir, cela influence beaucoup mes différents choix.

Il m'arrive souvent de faire autre chose en même temps, trop souvent même j'ai envie de dire, car plus l'attention est divisée, moins le thé a tendance à être bon : on est moins précis sur la préparation d'une part, mais aussi moins concentré sur les finesses et le ressenti. Une dégustation à plusieurs aura également cet effet dissipateur, mais ce sera compensé par le plaisir de partager une tasse voire sa passion.

La préparation et l'appréciation du thé demande donc du temps, celui qu'on voudra bien ou qu'on pourra lui consacrer. C'est une condition sine qua non.











Le choix du thé et de son dosage :

Dans ma tête, ceci est directement lié au point précédent. Certains thés seront faisables en une grosse demie heure et de façon confortable, et d'autres pourront littéralement prendre des heures si on les fait d'une traite. Bien sûr, il est possible d'interrompre une session pour la reprendre plus tard, mais c'est rarement ce qu'on souhaite, même si un bon thé ne souffrira pas trop des interruptions.

Donc si je n'ai qu'une heure, je ne choisirais pas forcément le même thé que si je n'ai qu'une demie heure ou au contraire une après-midi entière devant moi. Si j'ai envie de faire autre chose à côté, cela pourra aussi influer mon choix. Si je ne peux pas être tout entier à mon thé, je descendrai en gamme. Si j'ai un long moment sans interruption devant moi et l'envie de ne rien faire d'autre que de m'y consacrer, je choisirai plus volontiers un excellent thé.

J'ai en gros trois grands choix quand je m'apprête à me faire une dégustation : échantillon d'un thé que je ne connais pas ou très mal, que ce soit moi qui l'aie acheté ou non, nouveauté (achat récent), ou taper dans les réserves qui sont en général des thés qui ont passé l'étape de la sélection et que j'ai "stockés" quelle que soit la quantité (de quelques grammes pour la dancong-o-thèque à plusieurs centaines pour certains puerh). En pratique, je me rends compte que ce que je fais le moins souvent est de taper dans les stocks. Il y a toujours des échantillons à tester (et je ne m'en plains pas) ou des arrivages à découvrir.

La période de la journée jouera aussi : mon estomac refuse les thés torréfiés le matin, surtout que je suis souvent à jeun avant le déjeuner. Même chose pour certains thés rouges très tanniques (ce qui n'est pas forcément un bon signe j'ai l'impression de toute façon). Malheureusement, il m'est impossible de boire du matcha l'estomac vide également. À côté de ça, le matin est quand même le moment privilégié pour les thés verts. Je ne sais si c'est une idée préconçue que j'ai pérennisée, mais en tout cas, c'est vers ces thés que ma main se tend le plus naturellement du monde au réveil. Mon corps en réclame. Comme dirait un ami, "le thé vert, c'est la base" après tout. 

Quid de la saison ? On dit que le printemps se prête plus au vert et l'hiver plus à ce qui est fermenté et/ou torréfié. Comme le thé vert du matin, c'est quelque chose que je ressens assez naturellement. Mais à présent, grâce à la mise sous vide par exemple, nous ne sommes plus obligés d'être autant rythmés par les saisons. On peut profiter de thés verts hypers frais ou de darjeeling de printemps encore intacts en plein décembre. Et j'avoue que, plus que tout, j'aime avoir l'embarras du choix et ne pas être limité à ce qui est normalement de saison (pour le thé). Je dirais donc que ce paramètre influe assez peu sur mon choix au final.

Dernier point que je mets ici, c'est le dosage du thé, qui permettra de moduler la durée de la session. Envie de passer un long moment avec un yancha ? Un ratio de 1g/1cl devrait faire l'affaire. Juste une petite heure avec le même thé ? 5g suffiront amplement, en fonction de la qualité bien entendu, car un bon thé n'est pas celui qui s'éteint au bout de quelques infusions, toutes familles confondues, les paramètres choisis allant jouer aussi, bien entendu. C'est un autre critère à prendre en compte. Par exemple, si je décide de faire un sencha en infusions flash et très chaudes, j'aurais beaucoup plus de tasses au final que les 3/4 habituelles avec des paramètres plus classiques, donc besoin de plus de temps.

Dans ma pratique, il y a un lien direct entre le temps disponible et les choix du type de thé, de sa qualité et des paramètres utilisés.











Le choix du matériel d'infusion :

Première question : matériel neutre (porcelaine) ou terre (pouvant altérer le rendu final) ? Cela dépendra de ce que je bois. Déjà, si c'est une découverte, je ne me pose pas de question : gaiwan obligatoire. Si c'est quelque chose dont j'envisage l'achat : idem. En fait, je suis un gros aficionado du gaiwan, pour son aspect pratique et sa neutralité, il sera donc presque toujours mon choix de prédilection. Il n'y a que quand je bois mes stocks, donc que je n'ai pas besoin d'évaluer la qualité, que je suis susceptible de choisir une théière et/ou pour certaines catégories de thé précises : yan cha ou vieux puerh sur des infusions tardives par exemple.

Il y a aussi le cas où je cherche un effet bien précis, comme mes différents kyusu pour mes thés japonais (cuits en réduction ou en oxydation), ou théières dédiées à un type de thé (ex : wulong torréfiés).

La question d'après est : quel gaiwan ou quelle théière ? Taille : si j'ai un échantillon de 4g de puerh, je ne vais pas prendre mon plus grand gaiwan (encore que rien n'oblige de remplir un gaiwan ou une théière au maximum de son volume utile). Si c'est un thé rouge, je vais surement chercher un grand modèle, ou un thé vert chinois. L'épaisseur dépendra du mode d'infusion et du thé : eau très chaude pour thé délicat : gaiwan fin. Thé vert préparé avec une eau plus tiède et avec des infusions plus longues : gaiwan épais. La forme jouera aussi, encore que la plupart de mes gaiwan soient adaptés pour une majorité de thés. J'ai néanmoins des gaiwan plus ou moins dédiés, et certains qui sont meilleurs que d'autres. La qualité du thé rentrera donc un peu en jeu ici aussi. Je ne vais pas infuser un Dan Cong de fou ailleurs que dans mon meilleur gaiwan.











Le choix de la bouilloire et de l'eau :

Là encore, tout est une question de temps. Dans l'idéal, je sors la tetsubin vu que j'ai la chance d'en avoir une. J'ai aussi une superbe bouilloire de chez Lin's Ceramics, mais pour le moment elle se repose, car elle n'est pas neutre et change beaucoup plus le rendu que la tetsubin, chose que je ne recherche pas en ce moment. En effet, j'essaie d'être plus dans l'analytique et l'appréciation de la qualité sans artifice que dans le plaisir de la manipulation de beaux objets. Mais son rendu est très bon. Avant, je ne sortais la tetsubin que lorsque j'avais plus d'une heure devant moi. À présent, même pour une grosse demie heure, elle me rejoint pour ma session, quitte à préchauffer le matériel avec ma bouilloire en inox le temps que l'eau bout (ce qui est rapide quand même).

L'avantage de ces bouilloires outre l'esthétique et l'amélioration de l'eau est la précision de la verse, chose qui devient pour moi de plus en plus important. En ne remplissant pas trop une bouilloire "occidentale" en inox et avec beaucoup de précaution, cela reste tout à fait possible d'être précis, mais c'est un vrai plaisir d'utiliser des instruments conçus pour faire le thé, y a pas de secret...

Ce sera donc le manque de temps ou la fainéantise qui me feront utiliser la bouilloire classique, dédiée à l'eau minérale que j'utilise pour tous mes thés depuis un moment et que je ne suis pas prêt de changer : le Mont Barbier de chez carrouf. Je verrai plus tard pour faire varier ce paramètre, la route est encore longue, mais pour le moment je souhaite que seules les feuilles changent d'une session à l'autre, et pas d'autres paramètres si tant est que cela soit possible.











Le choix des autres instruments :

Tasses, pichets, éléments plus décoratifs sont choisis en général en dernier, pendant que l'eau chauffe. Mon choix se porte presque toujours sur un set complet en porcelaine pour les raisons citées plus haut, en tout cas, quand je suis en mode "évaluation". Mais bon nombre de mes tasses japonaises sont émaillées donc relativement neutres et feront l'affaire. En fait, je peux rester avec la même tasse pour différents thés sur plusieurs jours. Je rince juste entre chaque thé rapidement à l'eau bouillante et hop ! J'en utilise plusieurs quand je bois plusieurs thés en même temps, pas en mode dégustation en parallèle, ce qui m'arrive peu souvent de toute façon, mais quand je finis un thé commencé la veille en même temps que j'en entame un nouveau, étant donné que je suis un adepte des infusions longues. Mais il m'arrive aussi de ne faire qu'avec une seule tasse. Ça dépend de l'état d'esprit. Les thés japonais sont comme souvent l'exception où je me permets des écarts par rapport à mes résolutions habituelles. Il m'arrive d'utiliser un kyusu non émaillé, en même temps qu'un pichet et une tasse non neutres. Sisi... Quel fou je fais...

Pichet ou pas pichet ? Je l'évite quand je peux, pour empêcher toute perturbation extérieure, mais en général je m'en sers pour refroidir le thé afin de boire plus vite. Quand j'attaque un thé qui va durer de nombreuses infusions, autant que ça défile un peu, surtout au début où les temps d'infusion sont (très) courts. J'avoue avoir besoin que la liqueur ait bien refroidi avant de pouvoir y tremper les lèvres. Je suis assez sensible à ce niveau là. Et n'étant pas branché arômes plus que cela, je ne me soucie guère de boire des thés qui ont un peu refroidi. Comme précisé plus haut, le pichet idéal est en porcelaine ou en verre, soit un matériau qui ne viendra pas perturber le rendu de la tasse.











Voilà donc le genre de raisonnement qui me passe par la tête avant de m'attaquer au thé en lui-même. Pas mal de contraintes au final, notamment sur le temps et l'attention que je pourrais apporter au thé que je bois. Bien sûr, il y a la "routine" du matin typiquement, où je prends le même paquet que la veille, mais il est fort heureusement rare que je me contente d'un seul thé dans la journée. J'espère que cette réflexion vous aura servi à quelque chose.



つづく